Jocelyne Larocque se souvient encore de son tout premier match.
C’était le 4 novembre 2008, à Lake Placid, dans l’État de New York. Alors
âgée de 20 ans,
Larocque perçait l’alignement de l’équipe nationale féminine du Canada
pour la première fois
au match contre la Finlande en lever de rideau de la Coupe des 4 nations.
« Je me souviens que j’étais à la fois extrêmement nerveuse et très
reconnaissante d’avoir l’occasion de jouer pour l’équipe nationale, raconte
Larocque. Tous les jours, je me disais de profiter de chaque instant, de
prendre exemple sur les autres joueuses et de tâcher de les imiter. »
Le succès a immédiatement été au rendez-vous, autant pour la joueuse que
pour l’équipe. Le Canada a blanchi la Finlande 6-0, et c’est Larocque
elle-même qui a inscrit le sixième but en s’amenant en appui depuis la
ligne bleue pour s’emparer du retour à la suite d’un tir de Sarah
Vaillancourt dans la dernière minute de jeu.
Seize ans et demi plus tard, Larocque cogne aux portes de l’histoire.
Lorsqu’elle foulera la glace dimanche au match pour la médaille d’or du Championnat mondial féminin 2025 de l’IIHF, la joueuse originaire de
Sainte-Anne, au Manitoba, deviendra la cinquième joueuse de l’histoire
d’Équipe Canada – et la première défenseure – à prendre part à 200 matchs à
l’international.
Elle se joindra à Hayley Wickenheiser, Jayna Hefford, Caroline Ouellette et
Marie-Philip Poulin, cette dernière ayant franchi ce plateau jeudi lors de
la victoire en quart de finale du Canada contre le Japon.
« Quand je repense à mon parcours avec Équipe Canada, je ressens surtout
beaucoup de gratitude », affirme Larocque, qui poursuit sa carrière avec la Charge d’Ottawa dans la Ligue professionnelle de hockey féminin (LPHF). «
Ça semble plutôt rare de pouvoir vivre sa passion et compétitionner au plus
haut niveau à autant d’occasions. Quand je pense à mon arrivée au sein de
l’équipe et à tout mon cheminement depuis, j’en retiens surtout les gens :
le personnel et les joueuses avec qui j’ai eu la chance de jouer. »

Quadruple championne mondiale (2012, 2021, 2022, 2024) et double médaillée
d’or olympique (2014, 2022), elle possède une feuille de route des plus
impressionnantes au hockey.
Forte de deux titres nationaux dans la NCAA (2008, 2010) et de deux
sélections à la première équipe des étoiles américaines (2008-2009,
2010-2011) lors de son passage à l’Université du Minnesota à Duluth,
Larocque a également décroché trois championnats dans la Western Women’s
Hockey League avec l’Oval X-Treme de Calgary de 2005 à 2007 et le titre de
la Coupe Clarkson avec le Thunder de Markham en 2018. En outre, elle est la
première Canadienne à avoir été sélectionnée lors du repêchage inaugural de
la LPHF en 2023, elle qui a été choisie deuxième au total par Toronto.
Malgré toutes ces réussites, elle figure toujours parmi les joueuses les
plus sous-estimées au hockey féminin. Son faible apport offensif y est
peut-être pour quelque chose – elle a peut-être touché la cible dès ses
débuts en 2008, mais elle n’a noirci la colonne des buts que neuf fois au
total dans l’uniforme canadien.
Qu’à cela ne tienne, sa valeur pour l’équipe, et surtout pour la brigade
défensive, reste inestimable.
« Elle n’a pas été en mesure de produire offensivement en raison de ce rôle
défensif crucial qui lui a été attribué », estime Renata Fast, sa
coéquipière depuis 2015 avec qui elle patrouille régulièrement la ligne
bleue. « Elle embrasse ce rôle, qu’elle remplit à merveille. Elle adore
neutraliser les autres équipes, et c’est fréquent pour des joueuses comme
elle, qui ont un style très défensif, de ne pas se voir accorder le mérite
qui leur revient. Je pense que, depuis des années, elle demeure la joueuse
la plus difficile à affronter au monde, et une grande part des succès de
notre programme découle de la constance qu’elle apporte.
« Depuis que je fais partie du programme, j’ai pu voir l’ampleur de son
influence sur la culture de l’équipe. Elle permet aux joueuses de rester
d’emblée fidèles à leur identité sur la glace, on sent cette qualité chez
elle dès qu’on la côtoie. Elle est une coéquipière incroyable et l’une de
nos plus grandes meneuses. »
Larocque a pu apprendre des meilleures à ce chapitre. Ses débuts à la Coupe
des 4 nations 2008 lui font aussi penser à la générosité des vétérantes
Becky Kellar et Cheryl Pounder, qui lui ont montré tous les rouages
d’Équipe Canada. Les noms de Wickenheiser et de Colleen Sostorics figurent
aussi sur la liste de ses modèles.
C’est maintenant à elle de jouer le rôle de mentore à České Budějovice, où
le groupe de défenseures comprend Sophie Jaques, 24 ans, et Chloe
Primerano, 18 ans, deux jeunes joueuses dont l’expérience combinée avec
l’équipe senior était limitée à six matchs avant l’amorce du tournoi.
Mais pour Larocque, l’expérience ne fait pas partie de l’équation. C’est
une question d’avoir du plaisir, de jouer de manière détendue et de
simplement profiter de l’occasion de porter la feuille d’érable. Pour elle,
les succès commencent par ces ingrédients.
« Je suis extrêmement compétitive, avoue-t-elle. Tout le monde l’est au
Mondial féminin, mais il ne faut pas oublier que tout ça est censé être une
grande source de bonheur. À mon avis, c’est quand je joue avec légèreté,
liberté et plaisir que je joue de mon mieux. Depuis de nombreuses années
maintenant, au sein de notre unité défensive, on parvient à rire et à
s’amuser tout en faisant preuve d’une grande concentration et d’un
excellent souci du détail. Je suis très fière de la culture qu’on a créée.
« J’aime rappeler aux jeunes qu’on a atteint le sommet. C’est normal qu’il
y ait des erreurs, il suffit de ne pas s’y attarder et de garder confiance.
On peut apprendre de ses erreurs tout en restant confiante en soi et en ses
moyens, sans que ça fasse boule de neige. »
Née le 19 mai 1988, Larocque est la doyenne d’Équipe Canada depuis
plusieurs années déjà. Mais celle qui soufflera bientôt ses 37 bougies
révèle que ce n’est qu’il y a quelques saisons, à l’arrivée de Sarah
Fillier, première joueuse née dans les années 2000, qu’elle a vraiment
commencé à porter attention à son âge.
Sans surprise, la gratitude est le thème qui se dégage de ses réflexions.
« Évidemment, plus on joue longtemps, plus on sera entourée de jeunes,
dit-elle. C’est normal, mais ça vient quand même avec ces instants de
reconnaissance de pouvoir encore vivre ma passion à ce niveau, parce que le
hockey me procure tellement de bonheur. »
« Il y a Chloe, qui est beaucoup plus jeune qu’elle, à ce championnat
mondial, et je sais que Chloe est tout à fait à l’aise d’aller voir
Jocelyne pour lui demander des conseils et passer du temps avec elle,
ajoute Fast. Moi-même, quand j’ai rejoint le programme, je me suis
rapidement tournée vers Jocelyne en raison de ce qu’elle dégage. C’est une
présence tellement réconfortante et positive dans notre vestiaire. »
Mais on a beau parler de son âge en long et en large, ce n’est qu’un
chiffre à ses yeux. Larocque, qui participe à une 12e édition
du Mondial féminin et qui vise une quatrième présence aux Jeux olympiques
d’hiver dans moins d’un an, n’a aucunement l’intention d’accrocher ses
patins dans un avenir rapproché.
« Je n’ai jamais laissé mon âge me définir ou me retenir. Je reste d’avis
que je m’améliore de plus en plus chaque année, mais disputer 200 matchs
implique aussi beaucoup de discipline, il faut garder la forme. Et je pense
que c’est ce qui m’a aidé à faire ma place dans cette équipe pendant autant
d’années, le fait d’être toujours prête physiquement, mentalement et
émotionnellement. »