Pendant d’innombrables générations, ma famille a vécu au Pendjab, en Inde.
C’étaient des gens bien, honnêtes et travaillants. La terre a été cultivée
de génération en génération, les traditions et le style de vie se
perpétuant au sein de la famille.
Mon père rêvait d’autre chose pour lui-même et sa future famille. Il rêvait
de venir au Canada et d’y refaire sa vie, d’explorer de nouveaux horizons.
Mais il n’avait jamais imaginé que son rêve au Canada inclurait le hockey.
J’ai un vif souvenir de moi, à quatre ans, assis sur le perron de la maison
à Sparwood, en Colombie-Britannique, la ville où je suis né. Je regardais
des garçons plus âgés jouer au hockey dans la rue. Ça m’a tout de suite
intrigué. Mon père a constaté mon intérêt et m’a acheté un bâton de hockey
en plastique avec une lame rose, un manche jaune et un embout en caoutchouc
noir, qui venait avec deux rondelles en plastique. Je jouais sans relâche
dans notre sous-sol non aménagé, tirant dans une caisse de lait.
Nous avions la chance d’avoir des amis des Indes orientales dont les
garçons jouaient au hockey mineur à Sparwood. À l’approche de la saison de
hockey, mon père m’a inscrit. Il n’y avait qu’un seul problème : je n’avais
jamais patiné.
J’ai eu la chance inouïe d’avoir un excellent instructeur en patinage. Il
s’appelait Tander Sandhu et avait 11 ans. Il dit qu’il m’a fallu 15 minutes
pour commencer à patiner tout seul, chaussé d’une de ses vieilles paires de
patins qui n’étaient même pas à ma taille. À huit ans, j’ai été surclassé
pour jouer avec les plus vieux après avoir marqué 21 buts en deux matchs.
J’ai continué à accumuler les buts. Au début de la saison, à 11 ans, une
nouvelle règle est entrée en vigueur selon laquelle on ne pouvait marquer
plus de trois buts par match. Même si j’étais un bon fabricant de jeu et
que je faisais beaucoup de passes, il était bien connu que cette règle
avait été créée à cause de moi. Avec le recul, je crois que cela a fait de
moi un meilleur passeur. Ma famille se demande toutefois si, sans cette
règle, je n’aurais pas reçu encore plus d’attention et de visibilité dans
la communauté du hockey.
Je suis né au Canada, et j’adorais tout simplement ce sport. Je voyais tout
le monde dans mon équipe et leurs familles de la même manière, mais ce
n’est pas tout le monde qui me considérait comme un égal. Enfant, je ne
remarquais pas trop les regards et les commentaires. Le racisme m’est
apparu lorsque j’avais huit ans. Après mon troisième but lors d’un match,
un joueur de l’équipe adverse, qui venait d’une ville voisine, m’a crié
quelque chose à plusieurs reprises pendant la mise au jeu contre lui. Un
mot qui commençait par P, mais je ne comprenais pas trop.
Après deux autres buts, le garçon a continué à crier le même mot encore et
encore. Je peux encore voir ce qu’il portait, les expressions sur son
visage et sa colère. Je me souviens de la peur que j’ai ressentie.
J’ignorais ce que j’avais fait de mal et pourquoi il était si en colère
contre moi. Mon coéquipier m’a expliqué que notre adversaire disait des
choses vraiment méchantes à mon sujet. À propos de mon apparence. Les
railleries ont continué, mais j’ai réussi à me concentrer sur le jeu et à
m’amuser. Après le match, dans lequel j’avais fini par marquer 13 buts, le
garçon m’a serré la main et m’a répété ce mot, « Paki », en pleine face.
J’ai rejoué l’incident dans ma tête toute la fin de semaine. Le lundi
matin, à la récréation, j’ai demandé à mon ami indien plus âgé, qui jouait
aussi au hockey, ce que signifiait « Paki ». Il m’a expliqué qu’on nous
appelait ainsi pour se moquer de nous. C’était un nom qu’on m’avait donné
en raison de la couleur de ma peau.
Je me suis habitué à l’entendre au fil des ans. Le pire, ça a toutefois été
de l’entendre d’un parent lorsque j’avais 15 ans. Juste avant le début d’un
match, tandis que le calme régnait dans l’aréna, le père du gardien de but
adverse a crié à son fils : « Ne laisse pas ce maud*t Paki marquer! »,
puis il m’a regardé droit dans les yeux.
Vers la fin de la saison, nous nous sommes rendus dans une petite ville du
col Crowsnest, dans le sud de l’Alberta, pour un match. C’était un vendredi
soir, et un groupe d’ados était venu encourager leur équipe locale. Au lieu
de regarder le match, ils se tenaient à l’écart des parents et me lançaient
constamment des insultes racistes tout en faisant des gestes déplacés.
Je n’ai jamais répété ce qu’ils ont dit. Jusqu’à aujourd’hui. Car si l’on
espère provoquer un changement, il faut parler ouvertement de ces paroles,
de ces gestes. « Retourne chez toi, Paki », « Mets un peu de cari sur la
rondelle, ça va t’aider », « Où est passé ton point rouge sur le front? ».
Voilà le genre de moqueries que ces jeunes me lançaient. Chaque fois que le
jeu sur la glace m’amenait près d’eux, ils se mettaient à frapper sur la
baie vitrée depuis les gradins pour me faire peur, pour m’intimider.
Nous avons gagné 6-4 ce soir-là. Mes parents étaient tout sourire sur le
chemin du retour, ils trouvaient que j’avais bien joué. Moi, j’étais
silencieux, comme engourdi. En rentrant à la maison, les larmes aux yeux,
j’ai dit à mes parents, « On s’en fout du match, vous n’avez pas vu ce qui
se passait? » Leur réponse? Si je voulais devenir un joueur d’élite et
représenter notre culture, c’était le genre de choses auxquelles j’allais
devoir m’habituer. Mon père m’a ensuite parlé du racisme qu’il avait
lui-même subi dans les rues et au travail. Il voulait m’en protéger, mais
malheureusement, ce n’était pas possible.
C’est là que j’ai commencé à penser qu’un jour, je me servirais du hockey
pour gagner le respect, et que j’aiderais à mon tour d’autres jeunes issus
de la communauté sud-asiatique et leurs familles.
J’avais pour objectif de devenir hockeyeur professionnel. Un chemin parsemé
d’embûches, vous l’aurez deviné. Avec des parents immigrants, sans mentor
et sans Internet, il était très difficile de m’y retrouver dans le système.
Je suis parvenu tant bien que mal à me frayer un chemin dans le junior B,
le junior A, jusqu’à l’équipe du Collège universitaire Concordia de
l’Alberta à Edmonton. Puis, je me suis mis à douter. Le hockey
universitaire était-il vraiment la meilleure voie pour atteindre mon
objectif?
Après quelques matchs, un ancien entraîneur dans la LNH devenu agent de
joueurs, du nom de Bill Laforge père, est venu nous voir en action. Il a eu
la gentillesse de me prendre sous son aile et m’a aidé à atteindre les
rangs professionnels aux États-Unis.
En sept ans de carrière, j’ai passé cinq saisons avec les Sabercats de
Tacoma dans la West Coast Hockey League (WCHL), où j’ai joué sous les
ordres de deux entraîneurs remarquables en John Olver pendant trois ans et
Robert Dirk pendant deux ans. Robert et moi sommes aujourd’hui tous deux
entraîneurs à l’Okanagan Hockey Academy.
J’estime avoir pris du galon durant ces années, et pas seulement comme
hockeyeur. J’ai appris l’importance de m’impliquer dans ma communauté. La
ville m’a témoigné beaucoup d’amour en retour, au point d’effacer ou
presque l’impact de toute discrimination contre moi. J’ai remporté le
championnat de la WCHL avec les Sabercats en 1999 et pris part au match des
étoiles de la ligue. J’ai aussi été élu Joueur le plus populaire par les
partisans et partisanes à chacune de mes cinq saisons avec le club.
D’autres jalons ont marqué mon parcours, notamment mon rappel par le
Thunder de Las Vegas dans la Ligue internationale de hockey (IHL). L’année
suivante, j’ai signé un contrat à deux volets avec les Bulldogs de Hamilton
dans la Ligue américaine de hockey (AHL), un club affilié à mon équipe
favorite, les Oilers d’Edmonton.
En accrochant mes patins à la fin de la campagne 2002-2003, j’ai su que
j’avais un nouvel objectif à atteindre. C’était à moi de donner au suivant.
Lorsque mon fils, aujourd’hui âgé de 16 ans, a commencé à jouer chez les
Timbits, j’ai décidé de m’impliquer en accompagnant les jeunes de la
communauté sud-asiatique et leurs familles, tantôt à titre de mentor,
tantôt comme entraîneur, ou simplement en offrant mes conseils. Quelques
années plus tard, quand ma fille a commencé à jouer, je me suis impliqué
davantage dans le hockey féminin. J’ai même eu la chance de contribuer à
bâtir des ponts à l’international lorsqu’une équipe féminine de Leh Ladakh,
en Inde, est venue au Canada pour la première fois afin de participer au
WickFest, une initiative menée par nulle autre que Hayley Wickenheiser,
figure emblématique d’Équipe Canada.
Au bout du compte, c’est ma passion pour le hockey qui m’amène à offrir du
soutien et des conseils aux joueurs et joueuses des communautés
sud-asiatiques et de diverses origines, à créer des liens dans la
communauté, à mettre les jeunes et les parents à l’avant-plan, et à
diffuser l’information.
Mon travail auprès de la communauté sud-asiatique m’a valu l’honneur, en
2020, de recevoir le prix Héros de la communauté Willie-O’Ree. Je devenais
ainsi le premier membre de cette communauté à remporter un prix de la LNH,
ce qui m’a motivé à poursuivre mes efforts pour favoriser la diversité et
l’inclusion dans notre sport.
Des équipes de la LNH ont déjà emboîté le pas en tenant des soirées du
patrimoine sud-asiatique pour souligner les contributions de notre
communauté. J’ai eu le privilège de prendre part aux cérémonies lors de ces
soirées organisées par les Kings de Los Angeles, les Jets de Winnipeg, les
Oilers d’Edmonton et les Flames de Calgary, soit au sein de la garde
d’honneur, soit à la mise au jeu protocolaire.
Il faut du temps pour changer les choses. Mais avec assez de volonté, on y
parvient. Ensemble, nous contribuerons à améliorer la culture du hockey et
favoriserons l’essor du sport que nous aimons tant. Tout comme dans mon
parcours de hockeyeur, depuis l’âge de quatre ans jusqu’à mon dernier match
professionnel, il faut faire preuve de persévérance, de résilience.
Car le succès est une œuvre qui reste à jamais inachevée.